Formations libres ouvertes à tous

QUATRE GRANDS ACTEURS

À l’heure actuelle, dans l’univers des FLOT, quatre grands consortiums agissent comme intermédiaires : Coursera, fondé par deux professeurs en informatique de l’Université de Stanford, edX, un consortium mené par l’Université Harvard et le Massachusetts Institute of Technology, Udacity, qui émane de l’Université Stanford, et l’Académie Khan, qui donne surtout des cours techniques.

Formations libres ouvertes à tous

Harvard pour pas un sou, vraiment ?

Quelque 20 millions d’étudiants de près de 200 pays se seraient déjà inscrits à un FLOT (formation en ligne ouverte à tous) que ce soit un cours d’algèbre abstraite à l’Université Harvard, un cours d’astronomie à Berkeley, d’histoire du rock à l’Université de Rochester ou de paléontologie à l’Université de l’Alberta.

Les profs ? Dans les meilleurs cas, des stars. Des Prix Nobel, des scientifiques de renom et surtout, des pédagogues hors pair à mille lieues du prof amorphe et blasé. Les étudiants ? Le plus souvent, des étudiants du dimanche qui ne feront que passer et qui ne termineront aucun cours. Mais parfois – et c’est là le nerf de la guerre – ce sont des gens qui seront prêts à payer pour avoir leur petit certificat de Stanford ou, mieux encore, qui auront le potentiel pour aller y faire leurs études en personne.

Depuis leur salon, des jeunes de pays en développement (dont plusieurs Haïtiens), des retraités et des gens d’affaires se retrouvent donc par milliers (jusqu’à 100 000 personnes, parfois) à visionner des formations multimédias présentées en capsules vidéo par des professeurs émérites et, idéalement, bons communicateurs.

Certains voient dans ces FLOT (ou MOOC, pour Massive Open Online Courses) un gros Walmart de l’éducation ou une immense menace, du moins pour les universités les moins « performantes » économiquement. Ainsi en est-il de Clayton Christensen, professeur à la l’école de gestion de Harvard, qui prédit que ces cours en ligne « acculeront à la faillite d’ici 15 ans la moitié des universités » des États-Unis.

D’autres, comme l’écrivait déjà en 2012 la revue The Atlantic, considèrent les FLOT comme « la plus importante expérience jamais réalisée en pédagogie universitaire ».

EXAMEN DE CONSCIENCE

Chose certaine, ces cours virtuels obligent les universités à sortir de leurs tours d’ivoire et à constater que les meilleurs professeurs du monde sont maintenant accessibles en un seul clic.

L’heure de l’examen de conscience a sonné, dit Jacques Nantel, professeur de marketing à qui HEC Montréal a demandé de se pencher à fond sur la question.

La majorité des cours de premier cycle donnés par les universités, souligne-t-il, sont des cours d’introduction (à la gestion, à la science politique, à la finance d’entreprise) dont le contenu est très semblable d’une institution à l’autre.

« Il y a aussi des professeurs qui ont du mal à s’exprimer, poursuit-il, ou qui ne sont pas très disponibles – et comment l’être quand on a des groupes de 250 étudiants ? Il faut avoir le courage d’identifier les cours d’introduction, notamment, qui n’offrent pas une grande valeur ajoutée par rapport à ce que pourrait offrir un FLOT. »

La grande question, c’est donc de savoir s’il est bien utile que toutes les universités « dont les budgets viennent de la même poche » donnent essentiellement le même cours ou s’il n’y aurait pas moyen « que les universités mettent de côté leur ego et consentent à choisir un seul prof pour offrir un seul et même cours, le meilleur qui soit », dégageant du coup des ressources « pour les professeurs brillants qui se singularisent et qui peuvent donner des cours plus spécialisés et personnalisés ».

GRATUITS, MAIS PAYANTS ?

Mais qui peut tirer profit des FLOT ? Pour ceux qui les suivent, l’intérêt, c’est d’avoir accès au savoir, à de grandes universités auxquelles on ne peut rêver autrement, en plus de pouvoir enjoliver son CV. Pour les universités, ces FLOT peuvent à tout le moins offrir une vitrine internationale et, au mieux, des revenus en plus.

Car bien que le meilleur argument de vente de ces FLOT demeure leur gratuité, il reste que le but ultime des universités n’est pas philanthropique.

« Si plusieurs FLOT semblent gratuits à première vue, il s’agit souvent de stratégies – un peu comme celles qu’utilisent certaines grandes entreprises commerciales – pour attirer les clients potentiels : des étudiants. »

— Thierry Karsenti, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies en éducation de l’Université de Montréal

Ainsi, si l’on peut avoir accès à un certain contenu gratuitement, on demandera souvent quelques centaines de dollars pour obtenir une attestation ou des crédits, en offrant même parfois des rabais pour le certificat. Pour le cours Dino 101 qu’a suivi par curiosité Thierry Karsenti, l’Université de l’Alberta offrait par exemple un certificat au bas prix de 69 $ « pour un temps limité seulement ».

On veut des exercices supplémentaires ? Cela se monnaye, comme l’accès au professeur.

« Les FLOT sont de plus en plus intégrés aux programmes réguliers, note Jacques Nantel, de HEC Montréal, et l’on tend de plus en plus à reconnaître un certain nombre de certificats de complétion par l’octroi de crédits. »

Des étudiants québécois – souvent les plus brillants, relève M. Nantel – commencent à suivre des FLOT et réclament que cette formation leur soit créditée.

Marc-Antoine Gendreau, qui a suivi pas moins de 17 FLOT, s’en est servi, lui, pour se faire admettre à l’Université du Québec à Rimouski même s’il n’avait pas de diplôme de cégep. Grâce à ses FLOT, il avait même une longueur d’avance sur les autres étudiants, note-t-il. 

« Les MOOC (FLOT) que j’ai suivis étaient de qualité, mais j’avoue que les examens l’étaient moins. Pour plusieurs MOOC, on a droit à des reprises si on échoue à un examen, et l’examen de reprise est presque identique à celui auquel on a échoué. »

« Devrions-nous refuser de reconnaître des attestations externes ? demande Jacques Nantel, de HEC Montréal. Si on s’y refuse, ne risque-t-on pas de perdre des étudiants qui préféreront prendre une attestation de Harvard ou de Columbia plutôt qu’un cours régulier à HEC ? Devrions-nous imposer un certain nombre de cours à distance, les nôtres ou ceux des autres ? »

Il reste que si l’on n’en arrive pas à des évaluations sérieuses des milliers d’étudiants qui les suivent, les FLOT risquent d’avoir la même mauvaise réputation que les cours par correspondance de jadis, prévient Thierry Karsenti.

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